09 Nov Ancien eleve des celebres ateliers d’ecriture Clarion, Daryl Gregory a publie une premiere nouvelle en 1990, mais il a vraiment explose durant la derniere dizaine d’annees, sortant des textes souvent repris en best-of annuels de Gardner Dozois.
Depuis 2008, il a fait paraitre deux romans, Pandemonium et The Devil’s Alphabet, l’ensemble de deux impressionnants de maitrise. En France, deux des documents ont ete publies dans l’excellente revue Fiction.
Deuxieme personne du singulier reste une fascinante plongee dans le fonctionnement du cerveau humain, dont des etrangetes rappellent le roman de Peter Watts, Vision Aveugle, mais dans un cadre plus terre a terre. Gregory parvient a construire 1 texte rempli d’emotion et d’humanite en se basant sur les dernieres avancees en neuropsychologie. Du grand art.
Deuxieme personne du singulier
de Daryl Gregory
« Di?s Que nous pensons ‘Je respire’, le ‘Je’ est de trop. Cela n’y a personne concernant dire ‘Je’. Ce que nous qualifions de ‘Je’ n’est qu’une a qui s’ouvre et se referme chaque fois que nous inspirons ou que nous expirons. »
– Shun Ryu Suzuki
« J’ai longtemps cru que le cerveau est l’organe principal du corps, jusqu’a ce que je realise qui me soufflait votre idee. »
J’entre dans le cabinet du docteur Subramaniam. Penche au-dessus de son travail, il cause gravement a toutes les parents de la petit fille decedee. Cela n’est nullement content, mais di?s qu’il leve le regard vers moi, il se force a sourire. « Et J’ai voici ! » declame-t-il tel 1 presentateur de jeu tele devoilant le gros lot. Dans leurs fauteuils, l’homme et la femme se retournent, et, le docteur Subramaniam me fait discretement, 1 clin d’?il encourageant.
Le visage carre, colore par la couperose, le bide aussi rebondi qu’un ballon de basket, le pere se leve le premier. Comme au cours de les precedents rendez-vous, il fronce limite nos sourcils ; il fera de son mieux pour que ses expressions refletent ses emotions. J’ai mere a deja pleure, en revanche, et on peut lire sur le visage tel au sein d’ un livre ouvert : joie, peur, espoir, soulagement…
Elle me demande : « Tu es prete a rentrer a la maison, la Therese ? »
Leur fille s’appelait Therese. Elle reste morte d’une overdose depuis bientot 2 annees ; Depuis, Mitch et Alice Klass paraissent venus au sein d’ cet hopital des dizaines de fois, en esperant la retrouver. Ils souhaitent si tri?s que je sois leur fille que, dans leur tronche, je suis deja celle-ci.
La main toujours posee via la poignee d’une porte, je demande : « Je n’ai gui?re le choix, hein ? ». Sur le papier je ne suis qu’une adolescente de dix-sept annees. Je n’ai gui?re d’argent, aucune carte de credit, pas de taf, aucun voiture … Je ne possede que plusieurs vetements. Et Robierto, l’infirmier le plus costaud du batiment, se tient derriere moi au couloir, me bloquant toute issue.
Pendant une minute, la mere de Therese parait retenir sa respiration. C’est une femme elancee, frele, qui parait grande jusqu’a ce qu’on la voit a cote de quelqu’un d’autre. Mitch leve une main vers l’epaule de le epouse, puis la laisse retomber.
Comme a chaque fois qu’Alice et Mitch viennent me rendre visite, j’ai l’impression de me retrouver dans un feuilleton a l’eau de rose, et de ne point connaitre mon post. Je regarde resolument le docteur et le sourire professionnel crispe. Quelques fois lors de l’annee ecoulee, il a reussi a les convaincre de me laisser rester plus un certain temps, mais ils ne l’ecouteront plus. Ce sont mes tuteurs legaux et ils ont d’Autres Plans. Notre docteur detourne les yeux et se gratte le nez.
« C’est bien votre que je pensais », dis-je.
Notre pere se rembrunit, et la mere eclate en sanglots. Elle traverse bien le batiment en pleurant. Dans l’entree, nos mains en poches, le docteur Subramaniam nous regarde partir en voiture. Je n’ai jamais ete aussi en colere contre lui de toute mes ri?ves – autrement devoile, depuis 2 ans.
Cette drogue, on l’appelle le Zen, ou Zombie, ou juste Z. Grace au docteur S., j’ai une assez bonne option de la maniere dont cette dernii?re a tue Therese.
Un jour y m’a suggere : « Regarde sur ta gauche. Et dorenavant, regarde fort vite par la droite, mais sans bouger la tete. Est-ce que Notre piece est devenue floue alors que tes yeux bougeaient ? ». J’ai recommence Notre man?uvre. « aucun flou, hein ? Personne ne voit flou », il a conclu.
C’est le genre de style qui fait chauffer le cerveau des scientifiques. Non seulement personne ne voit flou en bougeant le regard, mais le cerveau des sujets reecrit carrement toute l’histoire : vue a gauche, puis vue a droite, ainsi, rien blackplanet tarif entre les deux. Ensuite, il triche avec un perception du temps, si bien qu’ils ont l’impression que le court instant qui s’est ecoule pendant que leurs yeux bougeaient n’a aussi pas existe.
Le cerveau nettoie la merde chaque jour, ont compris nos scientifiques. Ils ont branche des patients, puis un ont demande de lever un doigt, de le bouger a un exige. Chaque fois, le cerveau envoie au doigt l’ordre de bouger 120 millisecondes avant que le patient decide consciemment de le Realiser. Notre docteur S. m’a affirme que l’on pouvait voir le cerveau s’echauffer juste avant que le patient crois « Bouge ».
Deja, ca, c’est surprenant, mais plus on y reflechit, plus ca devient bizarre. Et moi, j’y reflechis bien le temps.
L’esprit conscient – le « Je » qui crois : « He, j’ai soif, je vais aller chercher un verre d’eau » – n’a rien choisi, en realite. Au moment ou vous prenez conscience que vous avez soif, le signal qui va declencher le mouvement de votre main a deja parcouru la moitie du bras. Notre pensee proprement dite arrive apres coup. « Au fait, dit ce cerveau, j’ai decide de bouger le bras, alors je te prie de bien vouloir choisir de le bouger. »
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